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L’Eglise en première ligne contre le SIDA
25
Ago
2009
25 - Ago - 2009



 
La grande fierté de Sant’Egidio est d’avoir trouvé le moyen d’empêcher la transmission du virus d’une femme enceinte séropositive à son enfant. Le centre Dream de Matola, près de la capitale Maputo, suit ainsi près de 2 000 femmes et leurs bébés.
 
 
 
de notre envoyée spéciale a Maputo, Marie-Christine Vidal
reportage photo Julien Chatelin
( Pelerin n° 6609 , 30 luglio 2009)
 
 
 
Au-delà de la polémique sur le préservatif suscitée par une « petite phrase » du pape lors de son voyage en Afrique, en mars, Pèlerin a voulu savoir quel était, sur le terrain, le rôle de l’Eglise en matière de lutte contre le sida. Au Mozambique, la communauté chrétienne de Sant’Egidio développe, depuis sept ans, un ambitieux programme de traitement pour 73 000 patients à travers le continent. Enrayer le sida en Afrique ? C’est possible !
Maputo, capitale du Mozambique, Afrique australe. Dans la salle de consultation d’un centre de soins, une grand-mère porte tendrement, dans un pagne noué contre son sein, un petit garçon aux grands yeux effarés. L’infirmière prend le bras de l’enfant pour une prise de sang. Le garçonnet se met à hurler. La femme lui caresse la tête, en lui murmurant une comptine. Solomao, 14 mois, ne se calme pas. Il est séropositif, fils unique d’une maman qui, infectée par le virus du sida – le VIH (1) -, est morte il y a huit jours. Le père du bébé a disparu dans la nature. Comme 510000 enfants mozambicains, ce petit garçon est un orphelin du sida. Mais, contrairement à la majorité d’entre eux, Solomao a deux chances. La première, c’est sa grand-mère maternelle, Sofia, 55 ans. Depuis huit jours, cette femme au doux regard a renoncé aux heures de ménage qui lui permettaient de gagner sa vie pour se consacrer à son petit-fils. « Maintenant, Solo­mao est mon fils », déclare-t-elle dignement. Deuxième chance : Sofia a confié la santé de son protégé aux mains des médecins de Dream.
 
Des chrétiens désireux de vivre l’Evangile en actes
Sous ce nom choc (en anglais, « dream » signifie « rêve ») se cache un projet qui l’est tout autant. « Drug Resource Enhan­cement against Aids and Malnutrition» (amélioration des ressources en médicaments contre le sida et la malnutrition), lancé en 2002 au Mozambique, puis étendu à dix pays du continent, a déjà redonné l’espoir à 73 000 malades. A l’origine du programme, la communauté Sant’Egidio. Créée en 1968 à Rome (Italie) par des chrétiens désireux de vivre l’Evangile en actes, ce mouvement de laïcs rassemble 40000 membres dans le monde entier. En 1977, le hasard d’une rencontre avec un évêque du Mozambique les amène à s’intéresser à cette ancienne colonie portugaise. A tel point que c’est à Rome, dans les murs de la communauté, que sera signé, en 1992, l’accord de paix mettant fin à dix-sept ans de guerre civile. Un exploit qui pare Sant’Egidio d’une image d’efficacité, mais qui lui donne aussi une responsabilité envers ceux qu’elle a accompagnés sur les chemins de la réconciliation. « Dans les années 1990, nos amis mozambicains sont devenus des "frères", raconte Gabriella Bortolot, médecin italien qui participe depuis le début à l’épopée Dream. Le sida faisait des ravages dans chaque famille, mais le gouvernement niait le problème. Nous avons décidé d’agir. »
 
 
Un projet associant le traitement à la prévention
Jusqu’alors, dans la lutte contre l’infection, les pays d’Afrique avaient adopté une stratégie basée uniquement sur la prévention. Avec des résultats peu convaincants : plus de 25 millions d’Africains infectés en 2000 (2) et des prévisions à la hausse. Une équipe de Sant’Egi­dio, composée de spécialistes du sida, s’attelle bénévolement à élaborer un projet associant le traitement à la prévention. Avec un unique objectif : l’excellence. Les malades des pays riches bénéficient de traitements qui leur permettent de vivre. Pourquoi ceux d’Afrique n’auraient-ils pas droit, eux aussi, à cette tri-thérapie antirétrovirale (ARV) ? A l’époque, ce choix suscite les ricanements. Comment trouver l’argent pour acheter ces médicaments coûteux ? Armée de patience, la communauté Sant’Egidio mobilise ses membres de par le monde pour collecter des fonds, afin d’offrir aux Africains un traitement gratuit. Elle parvient à négocier avec le laboratoire indien Cipla l’achat de grandes quantités d’ARV. A cette échelle, c’est une première pour l’Afrique. Et une étape qui rend le rêve de Dream possible.
Reste à prouver que les Africains sont capables de suivre un traitement contraignant [prise de comprimés à heures fixes (3), alimentation équilibrée]. C’est là qu’intervient une des clés du succès du projet : le réseau des « activistes ». Des malades suivis par Dream qui témoignent qu’une renaissance est possible et qui, en échange d’une rétribution, assurent un suivi à domicile des patients.
L’idée est venue d’Ana Maria Muhai, chaleureuse mère de famille de 48 ans, tout en rondeurs. « Le 24 février 2002, racon­te-t-elle, j’ai rencontré Dream alors que le sida m’avait beaucoup affaiblie. » Pour preuve, elle sort de son sac à main la photo d’une femme sans âge, aux cheveux ras et aux os saillants, le visage mangé par une tache sombre. C’est elle, à l’époque. « Je pesais 29 kg. Quand l’infirmière m’a vue, elle s’est mise à pleurer. » Après quinze jours de traitement aux ARV, la patiente n° 21 reprend du poil de la bête. Et ne pense plus qu’à une chose : témoigner. Elle sera la première malade à briser le tabou en racontant son histoire dans les médias. Avant de proposer à Dream de soutenir les autres et de créer le réseau des « activistes ». Dans les dix centres de traitement que Dream a installés au Mozambique, ces équipes font merveille. Comme, en ce matin de juin, dans la «salle d’attente » en plein air du centre de Machava, quartier populaire de Maputo. Une trentaine de personnes assises sous un toit de tôle attend pour la consultation. Ana Maria leur délivre des conseils en tout genre : « Si vous n’avez pas d’eau pour avaler le comprimé à l’heure dite, prenez-le sans eau, et vous boirez dès que possible » ou «Mangez toujours quelque chose avant le médicament, ne serait-ce qu’un biscuit. »
Des doigts, timides, se lèvent pour poser des questions.
L’échange et le dialogue sont la règle chez Dream. Dans le bâtiment que l’hôpital prête à Sant’Egidio, le Dr Noorjehan Abdul Magid, Mozambicaine de 37 ans, reçoit les patients en consultation. Grâce à un logiciel informatique créé pour Dream, elle a accès, via son ordinateur, à toutes les données concernant les malades. Non seulement à leur dossier médical,
mais aussi à de nombreuses informations sociales : métier, temps de trajet pour venir au centre, nombre d’enfants, type de logement… « L’attention au patient, c’est la différence "Dream"; assure le Dr Magid. S’il n’a pas de montre, nous lui en offrons une. S’il habite loin et n’a pas les moyens de venir jusqu’ici, nous lui donnons de quoi payer son trajet. Nous cheminons avec les malades, nous nous battons avec eux, nous nous faisons ensemble des cheveux blancs. »
 
 
 
Un accompagnement exceptionnel des malades
Autre spécificité de Dream : l’aide à la nutrition. «Il n’est pas possible d’obtenir de bons résultats si le patient ne s’alimente pas correctement », assure le Dr Gabriella Bortolot. Partant de ce principe, Dream fournit à ses malades la nourriture de base (riz, sucre, huile, farine de maïs, haricots…), jusqu’à 31 kg, une à deux fois par mois (selon la situation familiale et économique).
Cet accompagnement très complet, unique en son genre au Mozambique, explique que seuls 5 % des malades abandonnent le traitement en cours de route. Il ne serait néanmoins pas aussi efficace s’il n’arrivait en appoint d’un suivi médical de pointe. Quatre laboratoires alignés sur les standards européens (équipement dernier cri, normes exigeantes d’hygiène et de sécurité) réa-lisent des analyses précises et fiables. A tel point que les hôpitaux du service public et plusieurs associations humanitaires, comme MSF (Médecins sans frontières) Belgique, leur confient leurs examens. Par ailleurs, Dream investit depuis toujours dans la formation des soignants. Au départ, des équipes de professionnels bénévoles du monde entier, membres de Sant’Egi­dio, venaient transmettre leur savoir. Aujourd’hui, le personnel Dream est mozambicain. Il assure lui-même, chaque année à Maputo, une session panafricaine ouverte à tous les acteurs de la lutte contre le sida.
 
Bilan de la stratégie qualitative de la communauté Sant’Egidio : Dream soigne aujourd’hui près de 30 000 malades mozambicains et 95 % de « ses » patients jouissent d’une bonne qualité de vie. La plus grande fierté de Sant’Egidio reste d’avoir trouvé le moyen d’empêcher la transmission du virus d’une mère enceinte séropositive à son enfant, en administrant le traitement aux femmes infectées avant leur sixième mois de grossesse. 97 % des mamans donnent ainsi naissance à des enfants sains. Ces excellents résultats ont vite fait taire les sceptiques. « Les équipes de Dream font figure de précurseurs », résume Joana Abrantes Mangueira, directrice générale du Conseil national de lutte contre le sida (CNCS), du Mozambique. « Elles garantissent une qualité de traitement optimale », reconnaît le Dr Marc Biot, coordinateur de MSF Belgique au Mozambique. Moyennant quoi, depuis 2004, le ministère de la Santé prend en charge financièrement les traitements aux ARV pour tous les malades du pays, avec l’aide de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale de la santé. Sant’Egidio est devenu le partenaire privilégié des institutions dans la lutte contre la pandémie. Le ministère de la Santé, via le CNCS, ne tarit pas d’éloges sur la communauté et sur les autres organisations d’Eglise : « Ce sont nos partenaires les plus efficaces dans la ­lutte contre le sida, assure Joanes Abrantes Mangueira. Elles avertissent les plus vulnérables – femmes, jeunes, enfants – sur les conduites à risques, en essayant de reconstruire le tissu social abîmé par 1’épidémie. » Les universités et les grandes entreprises – dernière en date, Total, à Maputo – ne s’y trompent pas, demandant aux équipes de Dream de sensibiliser leur personnel au sida. Plus fort encore : Sant’Egidio a dupliqué l’expérience mozambicaine dans neuf autres pays d’Afrique, offrant à des dizaines de milliers de malades du continent un traitement contre une maladie autre mortelle. Avec ce projet exemplaire, une communauté chrétienne a prouvé qu’il était possible d’enrayer le sida en Afrique. Et a offert à Solomao, Ana Maria et les autres le droit de vivre.
 
(1) Le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH) est responsable du syndrome – d’ immunodéficience acquise (sida).
(2) Source :Nations unies.
(3) La majorité des traitements consiste en deux comprimés par jour, à prendre – à douze heures d’intervalle.
voir aussi le site : www.santegidio.org
 
 
 
Et le préservatif ?
Le 17 mars, dans l’avion qui l’emmenait au Cameroun, le pape déclarait : «   On ne  peut pas résoudre ce fléau (le sida) par la distribution de préservatifs : au contraire, ils augmentent le problème. » Une phrase qui suscita une polémique d’autant plus regrettable que plus du quart des  malades du sida dans le monde sont soignés par des institutions de I’Eglise catholique*. Si le discours du magistère  romain sur le préservatif est intransigeant, les réalités rencontrées sur le terrain amènent les institutions d’Eglise à adopter des positions pragmatiques.    
Leur premier objectif étant de sauver majorité des vies, la d’entre elles, comme Dream, préconise le préservatif comme outil de prévention, quand les autres moyens (fidélité, abstinence) ne sont pas compris. « II m’arrive de parler du sida à la messe, assure le P. Ottolino Poletto, partenaire de Dream à Beira, grande ville mozambicaine. J’insiste sur le fait qu’il faut adopter un bon comportement sexuel, en expliquant que le chemin idéal de prévention, c’est l’abstinence ou la fidélité. Mais je dis aussi qu’il vaut mieux mettre un préservatif que de risquer d’attraper ou de transmettre la maladie. » En parallèle, de nombreuses organisations d’Eglise mènent des actions d’éducation, notamment à la sexualité. « Le vrai problème, c’est la pauvreté et l’ignorance, assure Sr Ester Lucas, Fille de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, à Maputo. Nous tentons d’éduquer les jeunes pour changer leurs habitudes. »
* Selon le P. Vitillo, responsable de la lutte contre le sida au sein de Contas Internationalis.
 
Un Mozambicain sur six est séropositif
A issu, 35 ans, veuve, maman de trois enfants. Issufo, 37 ans, père de famille. Isaura, 5 ans. Leur point commun : porteurs du VIH. La maladie, en faisant irruption dans leur vie, les a bouleversés. « Quand j’ai appris que j’étais infectée, se souvient Aissa, j’étais très triste. Mais j’ai décidé de me battre. » Un Mozambicain sur six est séropositif. La fin de la guerre civile (1992) a accéléré la diffusion du virus, avec le retour de Mozambicains exilés dans les Etats voisins, très touchés par le sida, et l’arrivée des soldats de la paix. Les Nations unies ont reconnu que certains d’entre eux avaient monté des réseaux de prostitution d’adolescentes… A cela, il faut ajouter des pratiques traditionnelles, comme celle qui incite les veuves à coucher avec les frères de leur mari pour « renaître à la vie ». Résultat : environ 15 % des 21 millions d’habitants sont infectés. Plus de 90000 personnes meurent tous les ans du sida, mais le traitement aux MV progresse (450000 bénéficiaires). Malgré tout, la maladie reste taboue. Depuis six ans, Aissa, « activiste » dans un centre Dream, témoigne de sa lutte. Mais elle n’a toujours pas dit à ses trois enfants qu’elle était infectée…
 

 

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